Tuesday, December 4, 2012

Grand-père Hac

Nam Cao (1915-1951) écrivain vietnamien, représentant typique du réalisme critique dans sa dernière période (1940-1945). Grand-père Hac (Lão Hạc, en vietnamien) est l'une de la vingtaine de nouvelles ayant pour thème la misérable campagne vietnamienne dans les années1940-1945. L'histoire de grand-pèreHac et son chien jaune est bien connue des Vietnamiens, à tel point qu’il existe des sculptures sur cette histoire. Au cours de ma récente visite au jardin privé de l'artiste-peintre Thanh Chuong, j'ai fait photographier cette statue et je profite de l'occasion pour présenter mes à mes amis ma version française - sans prétention - de cette histoire émouvante.
Grand-père Hac souffla la torche de paille pour allumer la bûchette. J’ai déjà désengorgé la pipe à eau et y ai mis du tabac. Je l'invitai à fumer avant. Mais il n'était pas d'accord ...
- Monsieur l’instituteur, vous fumez avant moi !
Il me tendit la bûchette…
- Je vous remercie, grand-père ...
Et je pris la bûchette, tout en roulant une pincée de tabac. Après avoir tiré un long souffle, je désengorgeai la pipe avant de la poser sur ses genoux. Il y mit du tabac mais ne fuma pas encore. Il prit la bûchette, enleva les cendres, et dit : 
- Il est possible que je vais vendre le chien, monsieur l’instituteur!
Ajustant le tuyau de la pipe, il commenca à fumer. En expirant la fumée, je l’observais, seulement pour faire semblant que je m’intéressais à ses paroles. A vrai dire, je me sentais tout à fait indifférent. J'ai maintes fois entendu cette déclaration triviale. Je savais aussi qu'il parlait seulement pour parler, que jamais il ne vendrait son chien. Par ailleurs, s'il le vendait réellement, qu’y-a-t-il d’important ? Un chien ne mérite pas qu’il se fasse tant de souci… Ayant fini de fumer, il posa le tube de la pipe, se tourna au dehors pour expirer la fumée. Après une prise de tabac, le cerveau se paralyse dans une euphorie enivrante. Grand-père Hac s’assit en silence, jouissant de cette mince volupté. Je m’asseyeais également en silence. Je pensais à mes précieux livres. Quand je tombai gravement malade à Saïgon, j'avais vendu presque tous mes vêtements, mais j’avais refusé de vendre un seul de mes livres à quiconque. Guéri, je suis retourné à mon village natal avec comme bagage, une valise ne contenant seulement que des livres! Oh, ces livres tant chéris et dorlotés! J’avais juré à moi-même que je les les garderais pour la vie, pour conserver les souvenirs d’une période de diligence, de zèle et de foi, un temps plein de belles passions et de grandes ambitions : toures les fois que j'ouvre le livre, n’ayant pas encore le temps de lire une seule ligne, il semble que dans mon cœur s'enflamme l’aurore, image limpide de mes vingt ans, de ma jeunesse, sachant aimer et haïr… Mais dans la vie, on n’est pas malheureux qu'une seule fois. Chaque fois que j’étais poussé dans une situation sans issue, sans remède, j'ai dû vendre quelques-uns de mes livres. À la fin, lorque qu’il ne me resta plus que cinq livres, j'étais déterminé à ne pas m’en séparer d'eux, dussé-je en mourir. Et pourtant, j’avais tout vendu ! Depuis près d’un mois, mon jeune fils, atteint de dysentérie, se consumait pour cause d’asthénie… Non, grand-père Hac! Vous n'êtes pas autorisé à garder quoi que ce soit pour vous-même ! Votre amour pour votre chien jaune n’égale vraiment pas mon amour pour mes cinq livres ...
Ainsi, je me suis dit à moi-même. Tout à coup, grand-père Hac me dit :
- Oh! Monsieur l’instituteur, depuis un an mon fils ne m’a pas envoyé une seule lettre!
- Voilà! Il s’avérait que Grand père Hac pensait à son fils. Le fils de travaillait aux plantations d’hévéa depuis cinq ou six ans. Lorque je venais de rentrer au village natal, son contrat de travail venait juste d’expirer. Grand-père Hac a apporté sa lettre pour me demander de la lui lire. Mais son fils s’était engagé pour une période additionnelle.... Il me fit comprendre la raison pour laquelle tout en parlant du chien, il avait brusquement sauté sur l'histoire de l'enfant:
- Le chien , c’est lui qui l’a acheté ! Il l’a acheté pour le nourrir avec l'intention de le tuer pour manger, quand il se marierait ...

Ainsi est la vie! On ne réussit jamais à faire ce qu'on veut faire. Les jeunes gens étaient épris l’un de l’autre. Mise au courant, la famille de la fiancée avait accepté de la marier. Mais comme cadeau de mariage on avait trop exigé: rien que pour l’argent liquide, le montant avait atteint cent dongs. Si l’on ajoute les noix d’arec, l’alcool.. et encore les frais pour les noces, la somme atteindrait bien deux cent dongs. Grand-père Hac n'avait aucun moyen de payer. Son fils voulait vendre le jardin, en essayant d’assumer tous les risques. Mais Grand-père Hac n'avait pas consenti à vendre. Vendre le jardin pour se marier, quelle stupidité ! En outre, une fois mariés, où vivre? En outre, si la famille de la mariée s’obstinait dans ses exigences, la vente du jardin n’aurait pas suffi pour les noces. Grand-père Hac en était bien conscient, mais il n'osait pas utiliser des mots grossiers. Il avait essayé d’adoucir ses paroles pour faire comprendre à son fils. Il lui avait conseillé fils d’essayer de se maîtriser pour laisser tomber cette affaire, d’attendre un certain temps, avec l'espoir de trouver une autre bonne occasion pour moins cher, alors on essayera de mieux régler la question, si tu n’ épouses pas cette fille, tu épouseras une autre fille; dans ce village, les filles ne sont pas toutes mortes, il ne faut pas avoir peur Dieu merci ! C’est un bon fils. Après avoir écouté les explications de son père, il s'arrêta et ne parla plus de mariage. Mais il avait l'air triste. Et grand-père Hac savait que son fils poursuivait toujours cette fille. Il eut beaucoup de compassion plus pour lui. Mais que faire ?... En Octobre de la même année, la jeune fille épousa le fils du chef-adjoint de village, un homme riche. Le fils de grand-père Hac se découragea. Quelques jours plus tard, il se rendit en ville, chercha le bureau de recrutement de travailleurs, remit sa carte d'identité, signa une demande pour aller travailler dans les plantations d’hévéa....
Les larmes aux yeux, grand-père Hac me dit:
- Avant son départ, il m'a même donné trois dongs, monsieur l’instituteur! Je ne sais pas en remettant sa carte d'identité en gage, combien de dongs il a reçu comme avance pour me donner tant d’argent. Tout en glissant l'argent dans ma main, il me dit «je vous offre trois dongs, pour que vous puissiez manger des friandises ; depuis toujours, j’étais incapable de vous nourrir, c’est pourquoi, en m’en allant loin, je ne suis pas trop inquiet, car en exploitant le jardin et en vous embauchant pour les travaux des autres, vous devriez disposer d'un revenu suffisant pour vivre, cette fois je vais essayer de gagner ma vie, je ne rentrerai que lorsque j’aurai gagné quelques centaines de dongs, vivre sans argent dans ce village est vraiment très humiliant !... Je ne savais que faire sinon pleurer. Sa carte d'identité, on la lui a prise. Son visage, on l’a photographié. Il a pris l'argent d’autrui. Il est devenu la propriété de quelqu’un d’autre, il ne m’appartient plus…
***
Grand-père Hac! Je comprends maintenant pourquoi vous n'avez pas vendu votre chien jaune. Vous n'avez que lui pour vous réconforter. Votre femme est morte. Votre fils est sans nouvelles. Peut-on ne pas être triste quand il est vieux comme vous l'êtes, être obligé de vivre seul, jour et nuit ? Pendant les moments de tristesse, avoir un chien comme compagnon soulage la douleur. Vous l'appelez Jaunet comme appelerait une femme son enfant unique. Parfois, n'ayant rien à faire, vous lui attrappez les puces, ou l’emmenez à l’étang pour le baigner. Vous lui donnez la nourriture dans un bol, à l'instar d'une famille riche. Vous partagez tout ce que vous mangez. Le soir, quand vous buvez de l'alcool, il est assis à vos pieds. Après avoir goûté quelques morceaux, vous lui en donnez un, comme on donne à manger à un enfant. Ensuite, vous le cajolez, vous lui parlez comme parleriait un père à son enfant. Vous lui dites:
- Ton papa te manque t-il ? Ton papa est est parti depuis trois ans... Peut-être que près de quatre ans... Je ne sais pas si à la fin de l’année, ton papa rentrera à la maison? S'il rentrera, il se mariera et il te tuera. Gare à toi !
Le chien levait toujours son museau, ne manifestant aucune expression. Avec des yeux froncés et un regard effrayant, il le menaçait à haute voix : 
- Il te tuera! Le sais-tu ? C’est bien dommage !
Se croyant réprimandé, le chien remua sa queue pour essayer de gagner les faveurs de son maître. Grand-père Hac cria plus fort :
Tu montres ta joie, hein ? Tu secoues la queue, hien ? Inutile. Il te tuera. Tu vas mourir!
Voyant son propriétaire trop agressif et coléreux, le chien remua la queue tout en essayant de s’esquiver. Mais Hac l’attrappa, lui serra la tête, caressa son dos, en chuchotant:
- Non ! Non ! Non ! Ne tue pas Jaunet !... Mon Jaunet est très sage! Je ne lui permettrai pas qu’il te tue... Je te garde pour t’élever.
Hac le lâcha pour lever la tasse où il a approché ses lèvres pour boire, et tout à coup il poussa un soupir. Puis il calcula à basse voix. En fait, il calculait l’usufruit du jardin de son fils.
Après le départ de son fils, il s’était dit: « Le jardin appartient à mon fils. Du vivant de sa mère, elle avait essayé de vivre avec parcimonie et réussi à épargner cinquante dongs pour acheter le jardin. En ce temps-là, tout coûtait peu ... Ce que sa mère a acheté, il a le droit d’en jouir. La dernière fois, il a voulu que je vende, c'est pour lui que j’ai refusé, parce que je voulais garder pour lui, pas pour moi. N’ayant pas d’argent pour se marier, il s’est découragé et s’en est allé, il a accepté de retourner à la maison seulement quand il aura gagné assez d'argent pour se marier. En exploitant son jardin, je voudrais garder une partie de l’usufruit pour lui quand il reviendra, s'il n'a pas assez d'argent, mes économies seront un ajout, s'il en a assez, je donnerai au couple une somme qui constituera un petit capital pour démarrer dans la vie… » Il disait cela pour lui-même, et fit exactement ce qu'il avait dit. Il se fit embaucher pour assurer sa subsistance. Il avait mis à part tout l’usufruit de la terre. Il était tout à fait certain que, lorsque son fils reviendra, il aura au moins une centaine de dongs ...
Secouant la tête, il me dit avec dépression:
- Ainsi, les économies sont complètement épuisées, monsieur l’instituteur. Je ne suis tombé 
malade qu’une seule fois. La maladie a duré exactement un mois et dix-huit jours, monsieur l’instituteur! Passer un mois et dix-huit jours sans gagner aucun cent, sans compter les médicaments et la nourriture ... Essayez de calculer combien d'argent ça coûte ? ...

Après la maladie, il fut terriblement affaibli. Il n'était plus en mesure de le faire les lourds travaux… Le village ayant perdu son droit d'acheter du fil de coton, les gens étaient résignés à renoncer au tissage de la toile. Les femmes avaient beaucoup de temps libre. Quand il y avait des travaux légers, on se les disputait. Grand-père Hac était au chômage. Puis survint un typhon. Les produits de la terre furent complètement détruits. Depuis le typhon jusqu'à présent, son jardin n'avait pas encore rapporté quoi que ce soit de rentable. Le prix du riz avait augmenté. Lui et son chien consommaient au moins trente cents de riz, sans pour cela réussir à calmer la faim ...
- A vrai dire, Jaunet mange plus que moi, monsieur l’instituteur! Chaque jour, sa nourriture coûte au moins quinze ou vingt cents. Si cela continue, où est-ce que je peux trouver de l'argent pour le nourrir ? Si je lui donnais moins de nourriture, il maigrirait, je perdrais en le vendant, n'est-ce pas? Maintenant, il est tout à fait dodu, on l'achèterait volontiers même à un prix élevé.
Après une minute de pause, il claqua de la langue:
- Eh bien, je le vends sans hésiter ! Epargner le moindre dong est utile. Maintenant, chaque cent dépensé est pris sur l'argent de mon fils. Si je dépense trop, il va en souffrir. Maintenant, je ne peux faire aucun travail ! 

Le lendemain, grand-père Hac est venu chez moi. Quand il m'a vu, il a immédiatement annoncé:
- Jaunet est parti, monsieur l’instituteur.
- Vraiment ? Vous l'avez déjà vendu?
- Chose accomplie ! On vient de l’attraper.
Il avait essayé de paraître gai. Mais en riant, il avait l'air de pleurer et ses yeux larmoyaient. Je voulus l'embrasser pour sangloter. Maintenant, je ne regrettais plus tellement mes cinq livres comme auparavavant. J’éprouvais seulement de la compassion pour grand-père Hac. Je lui demandai pour tenir la conversation:
- Alors, il a consenti à se laisser capturer?
Soudain il grimaça. Le rides se convergeaient, comme pour presser le flot de larmes. Il détourna sa tête et sa bouche édentée grimaça comme celui d'un enfant. Il fondit en larmes. 
- Quel malheur... Monsieur l’instituteur, il ne savait rien ! En m'entendant l'appeler, il a couru à la maison, remuant sa queue avec joie. Je lui ai donné du riz. Pendant qu’ il mangeait, Muc lui-même caché dans la maison, juste derrière lui, saisit ses deux pattes postérieures, le renversa. Ainsi, Muc et Xien avec toutes leurs forces, après un certain temps, ont fini par ligoter les quatre pattes. Alors il se rendit compte qu'il était perdu! Oh, monsieur l’instituteur ! Les chiens sont vraiement intelligents! Il semble qu'il m'a reproché. Tout en gémissant, il m'a regardé, comme pour me dire : «Oh! vieil homme reprochable ! Je me suis toujours bien comporté avec toi, et qu’as-tu fait envers moi ? » Il s’est avéré qu’un homme âgé comme moi a trompé un chien, et que lui, il n’avait pas pensé que j'ai eu le cœur de le tromper!
Je le consolai:
- Vous le croyez, mais il ne comprenait pas! En outre, tout le monde nourrit des chiens pour les vendre ou les manger! Les tuer, c’est permettre qu’ils se réincarnent et avoir la possibilité d’avoir une autre existence.
Il dit avec ironie:
- Vous avez raison, monsieur l’instituteur ! L’existence de chien est misérable. C 'est pourquoi nous facilitons leur réincarnation afin qu'il puisse devenir un homme, avec de la chance, il aura une existence un peu plus heureuse... comme le mien, par exemple ...
En le regardant avec mélancolie, je dis:
- Grand-père, l'existence de tout un chacun est semblable ! Pensez-vous que je suis plus heureux?
- Si l'existence humaine est aussi misérable, nous ne savons pas quelle existence nous devons avoir pour être vraiment heureux ?

Il rit et eut une quinte de toux gargouillante. Saisissant son épaule maigre, je dis doucement:
- Aucune existence n’est réellement heureuse, mais ceci apporte du bonheur : Maintenant, asseyez-vous sur ce lit pour vous , je vais cuire quelques patates, faire bouillir une cruche de thé vert frais, bien forte, nous mangerons les patates, boirons du thé, puis fumerons du tabac fort ... Cela, c'est du bonheur!
- Oui, vous avez raison, monsieur l’instituteur! Pour nous, c'est du bonheur.
Après avoir parlé, il rit tout simplement pour faire plaisir. Le rire était guindé, mais le ton s’était radouci.
Je lui dis avec joie:
- Tout à fait d'accord, n'est-ce pas? Alors asseyez-vous ici, je vais faire cuire les patates et bouillir le thé.
- C’était pour plaisanter. Avec votre permission, ce sera pour une autre fois. 
- Pourquoi attendre une autre fois ?... Il ne faut jamais remettre le bonheur à demain ! Asseyez-vous ici! J'aurai rapidement fait.
- Je sais. Mais j'ai encore une affaire pour solliciter votre aide ...
Son expression devint sérieuse...
- De quoi s’agit-il ? 
- Monsieur l’instituteur, permettez-moi de parler de l’affaire... c'est un peu long.
- Bon, parlez.
- Voilà, monsieur l’instituteur!
Et il raconta. Il raconta d’une voix douce et avec volubilité. Mais dans ses grandes lignes on pourrait résumer en deux points.

Primo, il est vieux, son fils est absent et en plus très inexpérimenté. Il serait difficile de maintenir ce jardin pour vivre, si personne ne le gère. Je suis un homme lettré, avec beaucoup de raisonnement, je suis respecté de tous, donc il a voulu me confier les trois sao* du jardin de son fils. Il écrit un acte de vente pour moi, pour écarter la convoitise de quiconque ; lorsque son fils sera de retour, il recevra le jardin pour vivre, mais je maintiendrai inchangé l'acte de vente portant mon nom, afin que je l'administre pour lui ...
(*)
Sao, environ 360 mètres carrés

Secundo: il est très vieux et faible, il ne sait pas quand il va mourir ; son fils n'est pas à la maison, au cas oû il mourrait, qui prendra en charge les funérailles ? Laisser aux voisins le soin de l’organisation du deuil, il ne voulait pas, car il mourrait sans pouvoir fermer les yeux. Il a vingt-cinq cents, il voulait les confier à moi, s'il mourrait, je les montrerai aux voisins en disant que c'est sa petite contribution. Pour le reste, il n'a aucune ressource sinon d’avoir recours à la communauté. 
Éclatant de rire, je lui dis :
- Pourquoi êtes-vous si prévoyant ? Non, vous ne mourrez pas, n'ayez crainte ! Gardez cet argent pour vivre, lorsque vous mourrez, nous verrons ! Pourquoi endurer la faim et économiser de l'argent ?
- Non, monsieur l’instituteur! Si je continue à manger, l'argent sera épuisé, quand je mourrai, où trouver l'argent pour les funérailles?
- ... (Il semble qu'il manque une phrase)
- Oui, certainement, mais de l’usufruit de son jardin, j’ai tout dépensé. Il n’a pas encore de femme et d’enfant. Dans le cas où il ne peut pas gagner sa vie, et doit vendre son jardin ?... Je vous en supplie, monsieur l’instituteur! Ayez pitié de mon âge avancé, et n'hésitez pas à accepter que je vous confie l'argent.
Voyant qu'il avait insisté à plusieurs reprises, j'acceptai avec résignation. Au moment où il partait, je lui demandai encore :
- Vous me confiez tous les dongs que vous avez épargnés. Avec quoi allez-vous vivre ?
Riant du bout des lèvres, il dit:
- Tout est en ordre. J'ai déjà tout arrangé... Quoiqu’il en soit, tout sera résolu.
Pendant plusieurs jours consécutifs, je constatai que grand-père Hac ne mangeait que des patates. Les patates épuisées, il mangea ce qu'il trouvait. Un jour, il mangeait des racines de bananier, un autre jour, des figues bouillies. un autre jour, des centelles, parfois un peu d’alocasie ou quelques coquillages. J'en ai parlai ma femme. Elle refusa net :
Qu’il meure ! Il a de l'argent, mais s'est résigné à vivre dans la misère. Il se fait du mal à lui-même, personne d’autre. Notre famille n’est pas si aisée pour lui venir en aide. Notre propre fils ne mange pas à sa faim...
Hélas! En ce qui concerne les gens de notre entourage, si nous ne prenions pas la peine de les comprendre, nous ne verrions que des fous, des idiots, des ignorants, des gens indignes, abominables, jamais des gens pauvres... Ma femme n'était pas mauvaise, mais elle avait trop vécu dans la misère. Est-ce qu'un homme qui a mal au pied, peut oublier son pied douloureux pour penser à autrui ? Lorsqu’on est trop pauvre, on ne pense pas aux autres. La bonne nature de l'homme est masquée les soucis égoïstes et la misère. Connaissant cela, je m’attristais seulement sans avoir le cœur de me mettre en colère. A l’insu de ma femme, j'avais parfois secrètement aidé grand-père Hac. Mais il semble qu'il savait que ma femme n'était pas d'accord pour l'aider, il a refusé tout ce que je lui ai donné. Il a refusé de façon presque catégorique. Et ainsi il s’éloigna progressivement de moi ...
Je pensais qu’il ne me comprenait pas, et j’étais d'autant plus désolé ... Souvent, les gens pauvres sont trop sensibles dans leur amour propre. Ils sont enclins à sentir de la compassion pour leur propre sort, et cela leur serre très souvent le cœur. Il est souvent difficile d’adopter un comportement qui puisse leur plaire. Un jour, je m’en suis plaint à Binh Tu, mon autre voisin. Le cambriolage étant sa profession, il n'aimait pas grand-père Hac, trop honnête selon lui. Faisant la moue, il dit:
- Il fait des manières! C’est un malin. En fait, il est extrêmement malhonnête. Il vient de me demander du poison pour chien… 
J'écarquillai les yeux d’étonnement. Il murmura:
- Il a dit que le chien de quelqu’un a l’habitude de venir dans son jardin... Il avait l'intention de l’empoisonner. S'il réussit, il boira de l’alcool avec moi.
Hélas, grand-père Hac! Ainsi, en dernière extrémité, vous pouvez aussi faire comme quiconque... Un tel homme! Un homme qui a pleuré pour avoir trompé son chien! ... Un homme qui a jeûné pour économiser de l'argent pour les funérailles, pour ne pas impliquer les voisins ... Cet homme vénérable imite maintenant Binh Tu pour assurer sa subsistance ? Eh bien, la vie devient de plus en plus triste...
***
Non! La vie n'est pas tout à fait triste ou bien elle est triste selon un autre sens. Longtemps après mon retour de chez Binh Tu, on entendit un tumulte dans la maison de grand-père Hac. J'accourus en hâte. Quelques voisins arrivés avant faisaient beaucoup de bruit à l'intérieur. Je fonçai dedans. Grand-père Hac se débattait sur le lit, les cheveux en désordre, la tenue débraillée, les yeux roulant dans tous les sens. Il hurlait, de la bave sortait des commissures de ses lèvres, de fortes convulsions secouaient par intermittence tout son corps. Deux hommes forts devaient peser lourdement en s’asseyant sur son corps. Il s’agita pendant deux heures avant de mourir. Quelle mort violente! Personne ne comprenait de quelle la maladie il souffrait pour subir une mort tellement douloureuse et subite. Il n’y avait que moi et Binh Tu pour comprendre. Mais à quoi bon parler. Oh! Grand-père Hac, fermez tranquillement vos yeux! Ne vous préoccupez pas de votre jardin! Je tâcherai de le garder pour vous. Lorsque votre fils reviendra, je le lui remettrai, en disant: "C'est le jardin que ton père avait tenu à garder intégralement pour toi: il avait préféré mourir plutôt que de vendre même une petite parcelle..."

Traduit du vietnamien: Nguyen Xuan Thu
21 Octobre 2012

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